La baie de Matavai

Les deux hommes progressent lentement sur le rivage. Ils aiment se parler, évoquer les souvenirs. Mais le plus jeune n’avait connu ni Wallis, ni le capitaine Cook à son premier voyage. Sa mère lui avait confié qu’elle l’avait mis au monde alors que Tute venait de revenir à Tahiti. On ne l’avait pas vu depuis longtemps, et voici qu’il était revenu chargé de cadeaux : du tissu, de la verroterie, des haches, des clous, des couteaux, des hameçons de métal et non pas de nacre comme les leurs. Des moutons aussi. La pointe Tefauroa n’avait pas changé. Des petits fare étaient dispersés parmi les arbres, les cocotiers, les ’aito , les arbres à pain, les bananiers, les pandanus… Mais les étrangers l’appelaient désormais la pointe Vénus. Au loin, sur la colline Tahara’a au-dessus des falaises, l’arbre gigantesque se détachait sur l’horizon. Les Anglais avaient nommé ce site majestueux « One tree hill ». L’arbre était un ’atae qui servait de point de repère aux navigateurs. « Tu ne peux pas te souvenir de Tute, mais tu dois te souvenir du capitaine Bligh. - Le peretäne Bligh ! Je pêchais déjà avec mon père quand il est arrivé en baie de Matavai. Comme les autres, il avait un grand bateau et beaucoup d’hommes à bord. Il s’est arrêté chez nous pen- dant plusieurs lunes. Après avoir bien mangé, après avoir bu notre eau et nos cocos, il s’est intéressé aux arbres à pain, aux petites pousses d’arbres qu’il a fait porter dans le grand bateau. Ses hommes étaient mécontents. Certains aimaient nos femmes et ne voulaient plus repartir vers leur île lointaine, vers le pays du roi Georges. Ils ne voulaient pas partager dans leur bateau un tout petit espace avec des plants d’arbre à pain. Ils voulaient manger des fruits et de la poule tous les jours, pas des rats et des biscuits secs… 9

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