Le chapeau de l'île pirogue

9 J’étais tellement surpris par cette apparition que je ne pus barrer correctement ma pirogue. Elle se mit de travers, et comme tu peux l’imaginer, nous avons chaviré. Le temps de la retourner et d’écoper, on s’est mis à ramer de toutes nos forces pour atteindre le rivage et prévenir ceux de mon clan. Mais un groupe d’une centaine des nôtres s’était assemblé sur la plage ; les hommes préparaient déjà les pirogues. On entendait les conques de guerre résonner dans les vallées ainsi que le roulement des tambours de cérémonie. Il fallait voir ça, tout le monde était excité, les hommes couraient armés de lances et de frondes, des femmes pleuraient en serrant contre leurs jambes des en- fants apeurés, les plus âgés jetaient des galets dans le fond des embarcations pour en faire des projectiles. - Personne n’imaginait que c’était un bateau ? demande Matarii, déjà suspendu aux lèvres de son grand-père. - Pas tout de suite. Il faut que tu saches que nos grandes pirogues, même si elles pou- vaient embarquer des centaines d’hommes, avaient deux quilles au lieu d'une, elles étaient beaucoup plus basses, n'avaient ni pont, ni cale, ni cabine, ni d’ancre de cette dimension, et surtout elles ne possédaient qu'une voile. Et puis, dans nos anciens mythes, les îles se déplaçaient comme des navires, alors pourquoi pas des îles flot- tantes ? Nous prenions les grandes voiles carrées tendues accrochées à trois mâts pour des arbres et la proue du navire pour une sorte de rocher. C’était à l’époque le plus grand objet flottant jamais croisé dans nos eaux. Une sorte d’immense pirogue sans balan- cier plus longue que notre grand fare pote’e familial. Des lianes tendues descendaient comme une toile d’araignée du sommet de l’arbre vers le rebord de l’étrange appari- tion. Une bande jaune entourait le tout entre la ligne de flottaison et la rangée de pe- tites portes d’où sortaient des troncs noirs et creux de l’intérieur. Des troncs qui, par la suite, feraient des dégâts sanglants en crachant le tonnerre sur les miens.

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