Le chapeau de l'île pirogue

11 Je m’approchais, au milieu de plusieurs dizaines d’embarcations, grandes pirogues doubles cérémonielles, pirogues de guerre sans voile à plates-formes où s’entas- saient les guerriers, pirogues de pêche lagonaire ou de haute mer, tout ce qui pouvait flotter et supporter le poids des hommes encerclait peu à peu l’immense objet flottant. On pouvait entendre les cris des guerriers ou les invocations des tahu’a pure qui lui souhaitaient la bienvenue. Pour les prêtres de l’époque, nous avions af- faire à des divinités, à l’instar de nos ari’i, et ils nous invitaient à les traiter comme telles. D’autant qu’un immense tapa aux bandes rouges et blanches, flottait dans le vent ce qui rendait encore plus majestueuse « l’île-pirogue ». - Ah ! C’était donc le drapeau des Peretäne . - Oui, mais ça on ne le savait pas encore, car pour nous, c’était des « êtres » bien étranges qui nous faisaient signe. Je dis des « êtres » car ils avaient un corps et une tête, mais ils avaient un aspect général très insolite, et puis ils agitaient leurs bras en lançant des cris que l’on ne comprenait pas. Personne ne savait vraiment quelle était la bonne attitude à adopter. Mais cette ren- contre confirmait de vieilles histoires sur des divinités à peau blanche maîtrisant le tonnerre qui seraient venues du large à bord « d’îles flottantes ». Elles auraient débar- qué au Henua enana, il y a de cela bien des lunes. Les hommes les plus courageux s’étaient avancés à l’avant de leurs embarcations, agitant des feuilles de bananiers à la main en signe de paix afin de sceller une alliance et leur montrer que nos intentions étaient pacifiques, mais nous tenions nos armes près de nous, au cas où… Un tahu’a se lança alors dans un ’ örero . Je n’écoutais que d’une oreille son discours, car je n’avais d’yeux que pour ces visages au teint clair qui, du haut de cette grande pirogue, nous faisaient des signes. Certains étaient très maigres et édentés, d’autres avaient des cheveux de feu ou blancs comme la cendre, d’autres encore portaient des couvre-chefs, leurs paroles étaient incompréhensibles et en d’autres occasions, elles nous auraient même fait rire. Mais là, on n’était pas tranquille.

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