Le chapeau de l'île pirogue

13 Je me préparais à monter à bord lorsque je croisai le regard de Hina qui était assise à deux embarcations de la mienne. - Hina, ma grand-mère ? Oui, à l’époque, elle ne me regardait pas. Elle ne s’intéressait jamais à moi et puis son père l’avait promise à un autre… mais je n’ai jamais perdu espoir. Je voulais l’impressionner ainsi que tous les membres de son clan. Et là, pour la première fois, elle me remarqua, car je me tenais debout sur mon embarcation prêt à en découdre, s’il le fallait, avec ceux venus de je ne sais où. Son large sourire me remplit de courage. Je m’accrochai à l’enchevêtrement de lianes tendues à l’arrière du bâti- ment puis j’escaladai assez rapidement « l’île-pirogue » qui n’était quand même pas plus haute que les plus grands de nos ’aito. Je sautai sur le pont, et ils me dévisageaient avec insistance tout en m’invitant de la main à m’approcher. Mon cœur battait très fort. - Mais ce n’était que des popa’ä ! - Oui, mais vois-tu, ces créatures étaient entièrement différentes de nous. Tout d’abord, elles semblaient naturellement claires de peau. Certains avaient même les cheveux couleur de feu. Avant, chez nous tout ce qui se rapprochait de la clarté, de la lumière était associé au soleil, au divin. Même les objets qu’ils possédaient étaient empreints de lumière : perles, objets en verre, miroirs, même le pourtour du navire était jaune ! Diverses couches superposées d’un tapa enserraient leurs corps d’où ils sortaient des objets inconnus. On ne connaissait pas les poches. Il y avait sur certains costumes des rubans rouges et or qui faisaient briller les bords. Or, pour nous, le rouge était une couleur sacrée. Avant, les grandes capes cérémo- nielles étaient confectionnées en plumes rouges, quant à l’insigne suprême, le maro ’ura, c’était une ceinture rouge sacrée que nos chefs convoitaient et pour laquelle on faisait aussi la guerre. Il nous fallait formuler des interprétations particulières et nous avons puisé les réponses à nos multiples interrogations dans le monde qui n’était pas celui des humains : omniprésence du rouge, symboles lumineux, pâleur de leur peau, « l’île-pirogue », des tas d’éléments qui nous amenaient à les considérer comme des divinités dont nous ignorions les intentions. Mais il devenait de plus en plus évident que nous devions partager leur mana en scellant une alliance qui nous permettrait, entre autres, de nous emparer du plus d’objets possible.

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