Le chapeau de l'île pirogue

15 L’un d’eux me tendit alors des objets, mais je n’osai m’approcher. D’autres mem- bres de mon clan, voyant sans doute que je n’avais pas encore été foudroyé ou dévoré, sautèrent à bord en jetant les pousses de bananiers aux pieds des divinités. Encouragé par leur témérité, je m’approchai alors et tendis les mains vers ces choses que l’on m’invitait à prendre. En les faisant glisser dans mes doigts, je m’aperçus que les matières et les formes étaient nouvelles. C’était lisse, rond, brillant comme le soleil ou lourd comme la pierre. Aucun de nos outils de taille n’aurait pu réaliser de tels objets. Imagine-toi, toutes ces nouveautés, des petites tiges plus dures que la pierre qui leur servaient à fixer les morceaux de bois entre eux, des bâtons - on s’en apercevra par la suite - qui crachent le feu, des étoffes de toutes les couleurs et plus solides que n’importe lesquels de nos tapa, des herminettes plus tranchantes que les dents de requin. - Des bijoux ? - Oui, des miroirs, des clous, des colliers de perles, un couteau, je me souviens même avoir été très impressionné par une pièce de monnaie qui représentait, je ne le sus que par la suite, leur roi. Mon père m’avait donné des rudiments de sculpture et je ne comprenais pas comment ils avaient pu représenter aussi finement un personnage sur une surface aussi parfaitement ronde réduite et solide à la fois. Ils me souriaient tous, sauf ceux qui portaient des chapeaux. L’un d’eux paraissait être leur chef car son visage grave suscitait le respect des autres. J’étais très honoré car ma grande jeunesse ne m’aurait jamais permis autant d’égard de la part des miens et là, ils me traitaient comme un personnage important. Je puisais mon courage dans la présence de ta grand-mère qui devait certainement observer la scène avec émotion… C’est du moins ce que j’espérais. Puis, les discours cessèrent et par dizaines, les hommes s’empressèrent de monter à bord, il en arrivait de partout. Avec le recul, je pense que les habitants de « l’île- pirogue » devaient être moins surpris que nous l’étions de ce premier échange, ils avaient l’air d’être familier de ce type de rencontres. Mais, nous étions très excités et nous nous mîmes à toucher, palper, caresser, frotter tout ce qui nous intriguait. Puis nos manières qui, au début, les amusaient, commencèrent à les rendre nerveux. Celui qui paraissait être leur chef prit la parole et utilisa des mots in- compréhensibles. J’ai pensé à l’époque que cela devait être des mots de bienvenue.

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