Le chapeau de l'île pirogue

21 touchés par un casse-tête ou une lance, dans un vacarme de feu et de fumée noire. - Mais pourquoi cela s’est-il si mal passé ? - Je pense qu’à cette époque, on ne se comprenait vraiment pas. Chacun regardait l’autre avec sa façon de penser, sans prendre le temps de vraiment se compren- dre, on cherchait à tirer de la situation le meilleur profit… Une succession de malentendus qui a conduit parfois à des déchaînements de violence. Mais bon, tout ça, c’est du passé, il faut que l’on ramène du poisson pour le grand tä’mä’ara’a , notre roi va se faire baptiser, on ne peut manquer ça ! - Pä’ü , dis-moi aujourd’hui, est ce que l’on se comprend mieux ? - Je ne saurais te répondre, mais pourquoi crois-tu que notre roi a renié notre très ancienne religion pour celle des popa’ä ? Il a sans doute compris que c’était dans l’intérêt de son trône et de celui de sa famille de s’allier avec ce peuple. Devenir un grand roi, avec le soutien des popa’ä , protégé par le dieu des missionnaires, accroître sa puissance sur Tahiti, ça vaut bien une cérémonie religieuse, non ? As-tu pensé à cela ? Ils ont tous la même idée, chacun croit avoir convaincu l’autre de sa bonne foi et chacun fêtera aujourd’hui sa petite victoire, pensant avoir su utiliser l’autre pour accroître son prestige. - Pä’ü , aujourd’hui, ce que tu me dis me trouble beaucoup. Après ce jour de fête, allons-nous continuer à vivre de la même façon avec le nouveau dieu de notre roi ? » Pä’ü entrevoyait la réponse qu’il pouvait donner à son petit-fils, mais plutôt que de lui faire part de ses doutes quant à l’avenir, il préféra utiliser une comparaison plus positive : « Vois-tu, en ce moment, notre histoire c’est un peu comme dans la nature. Quand il y a une tempête, c’est le chaos. Les arbres les plus fragiles se couchent, les rivières sortent de leur lit et la mer se déchaîne sur le rivage ; mais à côté de cela, lorsque le calme revient, on découvre de nouvelles plages, les plantes ont reçu de l’eau et sont débarrassées de leurs encombrants voisins qui leur faisaient de l’ombrage, quant au lagon, il s’est régénéré. Il y a toujours un nouvel équilibre qui s’installe. » Bien qu’énigmatique, cette réponse plut à Matarii qui le suivit, marchant dans ses pas, la tête haute, le cœur plus léger mais l’esprit encore rempli d’incertitudes.

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