MAUX contre MOTS

110 Après avoir lu le contenu du carnet, ma première pensée fut que tout cela n’était qu’une blague de Mme Itier, qui savait très bien qu’il y avait de fortes chances que j’emprunte ce livre. Puis, après avoir longuement réfléchi, j’en vins à la conclusion qu’un idiot avait décidé de faire une blague au prochain qui lirait ce livre. Il n’avait donc pas eu de meilleure idée qu’un faux carnet permettant de voyager dans le temps. Fière de ma conclusion, je décidais d’aller attendre devant la salle de classe. Cependant, durant toute la journée, je ne fis que penser à ce carnet et à ce que je pouvais faire avec, si le message était vrai. J’aurais adoré pouvoir empêcher la mort de mon père, je finis donc par décider que, ce soir à minuit, je tenterais de voyager dans le temps, car de toute façon je n’avais rien à perdre. Si le message n’était pas vrai, je retournerais me coucher et, si par miracle je voyageais dans le temps, j’essaierais de sauver mon père, malgré l’interdiction dans le carnet. Le soir, quelques minutes avant minuit, j’écrivis le jour de la mort de mon père sur un morceau de papier pour être sûre de ne pas me tromper de date. À vingt-trois heures et cinquante-neuf minutes, un flot de sensa- tions m’envahirent. Un mélange de fatigue, de scepticisme, d’excitation et de stress. Puis, à minuit pile, ce fut le choc : j’eus tout d’abord l’impres- sion de prendre un bain bouillant, puis une douche glacée, ensuite, tout était confus. Je me sentais dans un état second, c’était comme si je n’étais plus moi mais seulement des atomes décomposés en molécules. J’étais, mais je n’étais pas, les deux à la fois. C’était douloureux et agréable, un mélange d’opposés indescriptibles. Puis, à nouveau le bain bouillant, la douche glacée et enfin : « Chérie, tu m’as écouté au moins ? » me demanda ma mère. À côté d’elle, se tenait un homme grand, mince et élégant : mon père. Je songeai alors, avec excitation, que j’avais réussi. Il ne me restait plus qu’à em- pêcher mon père d’aller travailler et à retourner dans le présent. J’avais longuement réfléchi à ce sujet et je m’étais dit que j’improviserais lorsque j’aurais sauvé mon père. « Non, maman, désolée mais j’étais dans la lune, répondis-je, peux-tu répéter, s’il te plaît ? » Elle se mit alors à marmonner que j’étais trop souvent dans la lune et qu’il aurait fallu qu’elle m’apprenne à rester

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