MAUX contre MOTS
112 car dans quelques heures je serais dans notre ancienne maison, avec un père vivant et une mère heureuse. Le soir à minuit, je tenais le carnet et je répétais, dans ma tête, la date où mon père avait reçu son travail. Puis, le bain bouillant, la douche glacée, les opposés indescriptibles et enfin : Drrrriiiinnnnng ! Le bruit de la sonnette retentit. C’était le facteur qui amenait le courrier. Et, dedans, se trouvait la lettre d’admission de mon père ! Je courus jusqu’à l’entrée et je pris le courrier des mains du facteur. La poubelle n’était pas loin, il me suffisait de... « Il y a ma lettre ? » Mon père était juste derrière moi et je ne l’avais pas entendu. Je ne savais pas quoi dire, la vie de mon père se jouait peut-être à cet instant mais je ne pouvais pas parler. J’étais tétanisée par la peur. « Brenda ? » Il fallait que je réponde, mais quoi dire ? Mon père avait toujours su quand je mentais. L’hésitation avait dû se lire sur mon visage car il insista : « Donne-moi les lettres que je regarde. » Il était de moins en moins calme et je ne pus m’empêcher de lui tendre les lettres, l’air coupable. Après quelques instants, il me demanda pourquoi je ne voulais pas lui passer sa lettre d’admission et je lui répondis que j’avais peur qu’il ne soit plus aussi souvent à la maison à cause de son travail. Ce n’était pas un argument très convaincant car il fit la moue et me rassura en disant qu’il avait pris ce travail, exprès, car les horaires coïncidaient avec ceux de mon collège. Mon père tourna alors les talons et s’en alla au salon. Le sujet était clos et il était évident qu’il comptait garder ce travail le plus longtemps possible... puis le bain bouillant, la douche glacée et les sensations opposées. Non ! Ce n’était pas possible ! J’avais gâché mon deuxième essai et je n’avais aucune idée de la façon de ramener mon père à la vie. Plus les secondes s’écoulaient, plus je prenais conscience de la réalité : si je vou- lais modifier mon présent, je ne pouvais pas le faire en sauvant mon père. Cette prise de conscience tourna à la déprime et je passais mon week- end, au lit, en entendant ma mère gémir et mon beau-père crier.
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