MAUX contre MOTS
117 Le soir, lorsque je rentrai à la maison, mes parents étaient encore à la bou- langerie. Cela faisait déjà plusieurs jours qu’ils rentraient tard et que je ne les voyais presque pas. Apparemment, la boutique marchait bien. J’étais contente pour eux mais j’avais le sentiment de ne pas être importante, qu’ils ne s’intéressaient pas à moi. Et puis, ma tristesse s’était transfor- mée en colère. Je ne pouvais plus contenir cette émotion en moi. Il fallait que je m’en libère. Le seul moyen que j’avais trouvé, était de l’écrire. Mais où ? Mon regard se posa sur mon agenda qui traînait sur mon bureau. J’aimais bien cet agenda et j’avais remarqué qu’il me servait un peu de journal intime. Je choisis une page au hasard, un week-end je crois, où j’écrivis ce que je ressentais et la dernière phrase disait que je voulais que la boulangerie de mes parents fasse faillite. Après avoir fait mes devoirs, je m’étais endormie, en repensant à l’humiliation qu’avait subie Mathilde. Je ne pus m’empêcher de sourire, en évoquant ce souvenir. Le samedi suivant, papa et maman n’avaient eu qu’une seule cliente, ce qui n’était pas dans leurs habitudes. Selon eux, c’était la pire journée depuis l’ouverture de la boulangerie. Je leur avais dit : « Ça passera, ne vous inquiétez pas. Vous verrez demain tout le monde se précipitera pour avoir le dernier croissant ». Mais le lendemain, personne ne vint. Au moins, mes parents avaient passé plus de temps avec moi. Durant les jours qui suivirent, la boulangerie était toujours vide. Peut- être que maman ne faisait plus si bien ses tartelettes au chocolat qui avaient auparavant énormément de succès ; ou bien, les pains frais de papa n’étaient plus aussi frais, ou peut-être, une autre boulangerie avait ouvert, non loin de là, et nous n’étions pas au courant. Oui, c’est plausible. Malgré tout, la boutique était, en si peu de temps, comme en faillite. Ce mot résonnait dans ma tête pendant plusieurs longues minutes. Était-ce possible qu’il y ait un lien entre ce que j’avais écrit dans l’agenda et cet événement ? Non, c’était impossible ! Il y avait forcément une explication. Je sortis mon précieux agenda de mon sac à dos et je feuilletai les pages jusqu’à ce que je trouve « J’aimerais que Mathilde se fasse ridiculiser, elle aussi » écrit un mardi. Et Mathilde s’était fait humilier, exactement, ce mardi. Plus loin, placé un samedi, « Il faudrait que la boulangerie n’ait plus de succès afin que mes parents s’intéressent à moi » . La boutique de
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