MAUX contre MOTS

118 mes parents avait été désertée, aussi, un samedi. Cela semblait impos- sible. J’avais besoin de vérifier cette piste ou de trouver une explication. Je cherchai dans l’agenda la page d’aujourd’hui et écrivis « J’aimerais que ma mère me fasse un compliment à dix heures ». Ma mère était dans le salon. Je l’avais rejointe. Il était exactement dix heures et ma mère me dit : « Bonjour ma chérie. Tu es ravissante. - Merci maman. Excuse-moi, mais je dois vérifier quelque chose. » Je montai les escaliers quatre à quatre, je n’en revins pas, je vérifiai, encore, en écrivant dans mon agenda : « Je voudrais un verre d’eau, tout de suite. » Aussitôt, ce que j’avais demandé apparut devant moi. J’étais partagée entre la joie et l’incompréhension. J’avais, en ma possession, une sorte d’agenda qui exhaussait les souhaits. Pendant plusieurs jours, je l’utilisais afin d’obtenir ce que je voulais. C’était une vie de rêve. Tout le monde m’obéissait ou était gentil avec moi, même Mathilde -qui le faisait seulement sous ordre du carnet. J’avais de bonnes notes. Mes parents passaient plus de temps avec moi. C’était la première fois, depuis le déménagement, que je me sentais aussi heureuse. Et tout cela, grâce à mon agenda, qui l’eût cru ? Bien évidemment, j’avais parlé de ce pouvoir à Marie, qui n’était pas du même avis que moi. Elle répétait, sans arrêt, que je devais me débarras- ser, au plus vite, de cet « agenda maudit ». Je pensais surtout qu’elle était jalouse. Un jour, nous étions allées aux toilettes et elle avait sorti des allumettes de son sac. Elle voulait réduire en cendres mon agenda et ainsi mettre fin à mon bonheur. C’est à ce moment-là, sous ses yeux, que je choisis une page au hasard et y écrivis : « J’aimerais que Marilyne disparaisse » . Aussitôt, je regrettai mon geste. Non, je ne voulais pas qu’elle meurt. Marie avait raison, cet agenda était maudit et c’était comme si son âme s’empa- rait, de plus en plus, de la mienne. Souhaiter la mort de ma meilleure et unique amie en était la preuve.