Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire

dans l’Oregon, sur le territoire de Washington, dans le Montana ou dans l’Idaho. On se rappelle aussi comment les constructions de voies ferrées reliant la côte est à la côte ouest du pays avaient drainé la majeure partie de la main-d’œuvre chinoise bon marché. Reconnus par leurs employeurs du Central Pacific comme durs à la tâche, leur présence devient cependant moins appréciée une fois les installations ferroviaires terminées, et surtout lorsqu’ils essayent d’essaimer dans d’autres secteurs économiques, l’agriculture par exemple 11 , ou proposent leurs services dans différentes branches d’activités industrielles (l’extraction de minerais en particulier). Le paiement d’une taxe visant exclu- sivement les travailleurs chinois sera une des mesures dissuasives prises à leur encontre. Pendant trois décennies, les campagnes publiques organisées en Californie pour extirper la population chinoise qui s’y est concentrée sont incessantes, avec parfois des phases de violence exacerbée, à San Francisco comme à Los Angeles, Chico ou San Diego. L’épisode Kearney de 1877 12 n’est qu’un révélateur de ce courant sinophobe où se mêlent les motivations racistes, les frustrations économiques, la peur de la compétition, la méfiance vis-à-vis du système capitaliste, la crainte du sous-emploi. Irlandais d’origine, Denis Kearney, un petit entrepreneur indépendant de San Francisco, forme un puissant syndicat ouvrier en quelques mois. S’il représente en partie la communauté irlandaise, qui constitue avec les Chinois la minorité ethnique la plus importante, il symbolise aussi la revanche des classes populaires face à l’élite socio-économique des Crocker, Stanford et autres Hopkins, le monde nanti de Nob Hill en somme. Orateur populiste, il arrive à galvaniser les foules en terminant invariablement ses harangues avec des charges contre les Chinois, accusés ainsi de tous les maux : dépression économique, déflation, baisse des salaires, chômage. Un an plus tôt, 20 000 autres Chinois sont arrivés. Il n’en faut pas plus pour inciter les sympathisants du syndicat à faire alliance avec les nombreuses associations anti-coolies en activité depuis long- temps, et à militer pour l’adoption d’une nouvelle Constitution à la place de celle de 1849. Leur objectif est atteint en 1879 13 , avec des clauses réformistes allant dans 174 11 Voir l’étude détaillée de Sucheng Chan, This Bitter Sweet Soil : The Chinese in California Agriculture, 1860-1910, Berkeley : Univesrsity of California Press, 1986. 12 Kearney s’en prend ouvertement aux symboles éminents du capitalisme californien mais ponctuent chacun de ses discours du même slogan : « The Chinese Must Go ! ». Cf. James R. Rawls, Walton Bean, California : An Interpretative History, New York : McGraw Hill, 2008, 195-201. 13 Cf. DavidAlan Johnson, Founding the Far West : California, Oregon and Nevada, 1840-1890, Berkeley : University of California Press, 1992, 250-258.

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