Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire

nous soient rendus, en particulier aux Mä’ohi qui se reconnaissent et qui se re- trouvent…’’ 13 . Le lecteur percevra bien là, sur la forme, le goût du moralisme et le caractère procédurier des Tahitiens mis en exergue par nombre d’observateurs de cette société depuis le XIX e siècle 14 . Sur le fond, notons aussi que Teamo Rua épouse l’étymologie valorisante de mä’ohi avancée par Duro Raapoto, estimant, en résumé, que “ Mä’ohi = Ohi-Mä ; Mä = pur-propre-digne ; Ohi = pousse, rejeton (…) [Ce qui est] Né de Taaroa, divinité suprême qu’adoraient nos tupuna , est parfait, et tout ce qu’il conçoit et crée est parfait. C’est pourquoi il tire du milieu naturel l’être correspondant à ce milieu. Un poisson, un oiseau est donc un être parfait. Et c’est parce qu’il est parfait qu’il peut demeurer et perpétuer son espèce (…) Le mä’ohi est celui qui est sorti de la terre de ses ancêtres, le fruit de cette terre où il vit, l’autochtone au sens absolu. Sa filiation vient du sang et du sol. Sol et sang se confondent en lui” (ibid.). L’autre défense du mot mä’ohi émane le même jour (22 avril 2009) de quatre “pro-Mä’ohi” coiffés de chapeaux de pandanus (Toa Teapua, Armand Huaatua, Ausa Moana Teauna, et Christian Freeland), réunis à Arue, et qui s’insurgent face à la presse qu’ils ont convoquée. C’est à tort, estiment-ils, que les mis- sionnaires anglais auraient utilisé le terme mä’ohi de façon dépréciative dans Ezékiel 42-23 : “cette traduction est une insulte aux tupuna [ancêtres]. Cela veut dire […] que nous ne sommes rien. […] Les premiers missionnaires sont venus avec la Bible dans une main et un pistolet dans l’autre… Il ne faut pas venir insulter nos ancêtres” 15 . L’argument est un peu court. Tout s’expliquerait par la faute des Européens, né- cessairement agressifs et irrespectueux, même s’agissant de missionnaires. C’est toutefois oublier, dans le cas de traduction de la Bible, que cette entre- prise reposait aussi sur les épaules de Tahitiens érudits, parmi lesquels, dès les années 1810, le roi Pomare II de Tahiti 16 . Mais surtout, accuser les Occidentaux d’irrespect laisse de côté la question de fond de savoir pourquoi les traducteurs du début du XIX e siècle dotaient l’appellation ta’ata mä’ohi d’une charge dépréciative, et pourquoi ils l’employaient au sujet des Sabéens (et non des 193 13 La Dépêche de Tahiti, 22/04/2009, p. 22. 14 Voir le chapitre II de la 2 e partie de notre ouvrage (2004). La société tahitienne au miroir d’Israël. Un peuple en métaphore. Paris, CNRS éditions, collection Ethnologie, 302 p. 15 Propos de Toa Teapua, dans La Dépêche de Tahiti, 23/04/2009, p. 20. Il qualifie aussi l’ancien diacre protestant Eugène Bessert de “traître” : “Pour moi, il veut diviser le peuple, peut-être parce que les politiques s’unissent enfin face à la crise. Ceux qui salissent le mot mä’ohi sont des traîtres. On n’a pas à insulter nos ancêtres”. 16 Sur l’ensemble de cette entreprise, voir le bel ouvrage de Jacques Nicole (J1988). Au pied de l’écriture. Histoire de la traduction de la Bible en tahitien. Papeete, Haere Po no Tahiti, 343 p.

RkJQdWJsaXNoZXIy NzgwOTcw