Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire

Polynésiens). Cela ne peut s’expliquer, de notre point de vue, qu’en raison du contexte culturel tahitien de l’époque, dans lequel l’expression ta’ata mä’ohi ne désignait pas tous les Tahitiens, mais seulement les plus ordinaires, voire les plus dévalorisés d’entre eux. D’où l’emploi de ta’ata mä’ohi au sujet des buveurs et des Sabéens venus de contrées sauvages, l’expression tahitienne ta’ata mä’ohi étant la plus contextuellement appropriée pour évoquer, aux yeux du lecteur tahitien de la Bible, non pas l’autochtonie polynésienne mais de façon générique, la sauvagerie, la vulgarité. Précisément, nombre de traduc- teurs de la Bible étant des Tahitiens des classes aristocratiques, ils affichaient une certaine distance vis-à-vis des “gens du commun”, des gens “vulgaires”, ceux vivant du travail de la terre, voire reclus au fond des vallées. On comprend maintenant mieux pourquoi les membres de l’association Hiti Roa, tout comme les personnes âgées vues dans l’émission télévisée Matahiapo, refusent aujourd’hui encore que le terme mä’ohi s’applique à l’être humain. Ils sont les héritiers inconscients de valeurs traditionnelles dans lesquelles l’assimi- lation à la terre, que porte le qualificatif mä’ohi (désignant des animaux ou plantes endémiques ou vivant à l’intérieur des terres), véhicule potentiellement l’idée de salissure et de bassesse. L’usage de mä’ohi pour désigner des humains serait dépréciatif, renvoyant l’homme à l’ordre de l’animalité ou du végétal, ou bien à la condition des animaux et hommes inférieurs 17 . Une logique symbolique similaire, associant le peuple à ce qui est ordinaire et déprécié, se retrouve de façon explicite dans le terme français “vulgaire”, dérivé du latin vulgus désignant le petit peuple. Sans attendre le renouveau culturel et le mouvement traditionaliste mä’ohi de la fin des années 1970, il est toutefois possible que les premiers emplois de mä’ohi au sujet de l’homme soient apparus dans l’ensemble tahitien dès le début du XIX e siècle, comme en Nouvelle Zélande. La différenciation ne se fait désormais plus horizontalement, entre classes de la société (opposant les “gens d’en haut”, aux gens ordinaires liés à la terre) que verticalement (entre des gens venus d’ailleurs, et ceux intimement enracinés dans les îles polyné- 194 17 Il n’existe à notre connaissance aucune mention, dans les textes classiques en langue tahitienne des personnes des basses classes sociales en tant que mä’ohi . Cela étant, sur le fond, une telle assimilation symbo- lique aurait pu ponctuellement exister, de la part des gens de la noblesse, réduisant ainsi les gens du peuple à l’in- férieur. Le Petit Larousse illustré (2007 : 1048) le définit ainsi : “Vulgaire. Adj. (latin vulgaris , de vulgus , multitude). 1. Qui est sans aucune élévation, qui est ordinaire, prosaïque, bas, commun… 2. Qui manque d’éducation, de délicatesse… 3. Qui est quelconque, ne dépasse pas le niveau moyen (…) Nom masculin. Vx. Le vulgaire : le commun des hommes, la masse”.

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