Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire
public à leur chef pour qu’il apprécie la rondeur de leurs corps. Le ha’apori en tant que tel était réservé à certaines personnes en des périodes bien déterminées de leur existence, aux membres les plus importants de la société ou à des rites de passage. Les rituels d’engraissement pratiqués en Polynésie étaient associés à la beauté physique et à la fertilité, et sont à analyser dans une optique sociale, maintenir la cohésion de la société, aussi bien que biologique, accroître les chances de fertilité féminine et assurer la reproduction de la société. Hormis les périodes de festins et de « gavage » général strictement encadrées, l’abondance alimentaire est donc limitée à des groupes dont une des fonctions était justement de symboliser et garantir l’abondance naturelle. Au total, plus qu’une simple société de l’abondance « naturelle », la société polynésienne pré-occidentale est une société de l’abondance socialement limitée. Le contact avec les Européens Le contact des Tahitiens avec les Européens repose sur un malentendu premier, entre culte tahitien de l’abondance et mythe européen de l’abondance édénique. Dès les premiers contacts avec les navigateurs européens, Tahiti a été perçue comme le Paradis terrestre, l’Éden retrouvé, selon les idées du naturalisme européen du XVIII e siècle. Tahiti devient la représentation de l’île mythique d’abondance naturelle, où la Nature offre spontanément, sans nul effort humain, ses plus beaux fruits à manger. C’est la vision que les Européens donneront des Îles de la Société au monde occidental pour les siècles à venir. Ces premières observations sont le fait de visiteurs qui ne séjournent que quelques jours dans les îles, ou qui ne se rendent pas clairement compte du sta- tut et du type d’accueil qui leur sont réservés. Des pirogues emplies de porcs cuits entiers, de fruits, de légumes et de poissons, abordaient les navires qui mouillaient à Tahiti après des semaines de navigation. Ces dons plantureux et les festins qui les suivaient avaient pour fonction de donner une impression d’abondance par l’accumulation extraordinaire d’aliments choisis, signe de prestige pour leurs hôtes tahitiens. Mais le mythe d’un Tahiti édénique ne résiste ainsi pas au second regard porté sur l’île en matière de partage des richesses et d’abondance des repas quotidiens. Le premier regard, le premier contact, est celui du don munificent, de l’abondance naturelle et des festins. Le deuxième regard saisit la monotonie du quotidien ali- mentaire, la distinction des statuts, et l’alternance de période de disette avec des périodes de suralimentation. L’abondance alimentaire à profusion et librement disponible ne constitue donc en fait qu’une représentation des Occidentaux. Même Bougainville, qui pourtant par ses récits contribuera à lancer le mythe 203
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