Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire

doux et bienveillant, qui ne réclame aucun sacrifice. Mais si le Dieu chrétien ne réclame pas d’être nourri, et donc n’impose pas de sacrifice, il ne peut alors assurer de réciprocité, valeur centrale pourtant dans le système social tahitien et dans les relations entre les hommes et les dieux. Sur les ruines des anciens marae s’élèvent les nouveaux temples chrétiens. Le caractère sacré de certains aliments est profané par leur consommation publique par les chefs nouvellement convertis, et notamment le rite le plus sacré de l’ancienne religion : la consommation de la tortue, jusque-là réservée aux chefs après une préparation rituelle dans l’enceinte du marae . Le même moyen est utilisé dans d’autres îles polynésiennes 1 . De fait, la transgression ostentatoire des usages alimentaires permet de signaler l’abandon pur et simple d’une religion, la rupture avec son groupe d’origine. La volonté est clairement exprimée et l’entreprise systématique : à travers la transgression du tapu alimentaire le plus strict, l’objectif est bien de « détruire le système entier », sa structure et ses modes de classification. Du point de vue des premiers missionnaires, on passe d’une société vue comme paradisiaque, du « bon sauvage », à une vision d’une société aux modes de vie « barbares » et « pa ï ens », jusque dans les détails de la vie quotidienne, et l’alimentation en particulier. Le manger a été l’une des premières cibles des missionnaires britanniques. Les débordements de la chair et les festins plantureux, contraires à une certaine idée de la retenue, sont perçus plus proches du gaspillage que d’une significa- tion sociale et culturelle. L’irrégularité des « repas », entre quotidien et festif, est combattue, s’opposant aux habitudes alimentaires des Tahitiens. L’influence de la religion s’est imprimée également à travers les cours d’apprentissage ménager pour la tenue du foyer qui comprenaient les nouveaux modes de préparation des aliments récemment introduits, mis en place pour les jeunes filles des familles de chefs par les épouses de pasteurs. L’adoption progressive des « bonnes manières chrétiennes » est passée par l’apprentissage d’un code de conduite qui distancia dans un premier temps le comportement des classes supérieures des autres, véritable marqueur de stratification sociale, avant qu’il ne se diffuse largement dans la population avec les ustensiles qui l’accompagnent. Les missionnaires n’ont introduit en fait que peu de produits alimentaires nouveaux et réellement consommés par les Tahitiens durant la première moitié du XIX e siècle. En revanche, ils ont modifié de façon systématique le rapport aux aliments, les rites attachés à leurs production, préparation ou consommation, séparant par là leur aspect matériel des représentations qui y étaient attachées, 205 1 à Rurutu, à Tubuai et à Hawaii.

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