Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire

d’un grand manque d’hygiène. L’allaitement des jeunes enfants est fait princi- palement à partir de lait concentré sucré, utilisé sans précaution quant aux doses et aux modes de conservation préconisés, cause d’une mortalité infantile impor- tante chez les moins d’un an. Les préparations culinaires traditionnelles sont toujours exécutées avec soin, car porteuses de sens et d’identité, mais avec des ajouts de produits importés sans réelle valeur ajoutée en matière nutritionnelle. Au contraire, la cuisson et la préparation défectueuses des aliments importés conduisent souvent à une déperdition importante de leur valeur nutritive. Les aliments occidentaux sont considérés comme « complets », se suffisant à eux-mêmes, ne nécessitant guère plus de préparation que de réchauffer ou cuire des aliments sans accommode- ment aucun. Cet ensemble de faits nous conduit à penser que les Tahitiens, et les Polynésiens en général, ont vécu ce qu’on peut appeler une « gastro-anomie ». Exclu de la vie sociale, politique et économique, ayant perdu le sens de l’aliment traditionnel et de son rapport à la terre et à la mer, les valeurs anciennes cohabitant avec les nouvelles valeurs, et les grands festins communautaires se raréfiant avec l’évolu- tion de la symbolique alimentaire, l’individu se retrouve livré à lui-même, face à une offre alimentaire diversifiée sans plus de contrôle social, une « gastro-anomie » océanienne. À la fin des années 1950, des rapports sur l’alimentation dans le Pacifique insulaire montrent que si tous les territoires du Pacifique importent des produits alimentaires, peu sont aussi dépendants à leur égard que la Polynésie française. La consommation des produits importés est corrélée au fait d’avoir un emploi salarié, ou fonction des ventes de coprah, de vanille ou de café. Le riz et le sucre importés, malgré des expériences passées de production locale, sont consommés par tous. Le pain est d’usage général. Sodas, chips, snack et ice cream présents dans tous les commerces dénotent la récente influence américaine. Ouvert à toutes les expériences, en grande partie salarié depuis le début du siècle, le Tahitien est désormais prêt à affronter l’expérience de la surconsommation moderne, délaissant de plus en plus la production au profit de la seule consom- mation. La corne d’abondance du C.E.P. D’un système d’exploitation colonial agricole et minière, la Polynésie française entre avec l’implantation du C.E.P. dans la modernité, dans l’ère de l’atome et d’une « prospérité inimaginable », phénomène amplifié par l’expansion 209

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