Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire

économique occidentale des années 1960. De quasiment créditeur vis-à-vis de l’extérieur et de la métropole, le nouveau Territoire d’Outre-Mer devient fortement débiteur : la consommation prévaut désormais sur la production. Le salariat a attiré à Tahiti de nombreux résidents des îles éloignées, parmi les plus jeunes, leur permettant ainsi de fuir une vie quotidienne perçue comme ennuyeuse et monotone, et d’échapper aux contraintes imposées par le cadre de vie limité à la vie familiale et aux activités paroissiales. Il constitue aussi la possibilité de sortir d’une vie confinée à l’autosubsistance et l’espoir d’accéder à une autonomie financière, à la vie urbaine, aux sorties et aux objets de consom- mation. Le salariat qui se généralise et l’urbanisation croissante modifient alors les modes et rythmes de vie : d’un mode de vie encore largement marqué par les activités traditionnelles, les Tahitiens passent à un cadre de vie urbain, imposé par les contraintes et les rythmes du travail salarié, qui s’étend également aux occupations et aux loisirs, et à l’alimentation. Les Tahitiens profitèrent de cette période de croissance économique pour satisfaire leurs besoins, y compris jusqu’à s’endetter lourdement. Mais cet effort d’équipe- ment n’a bien souvent été possible que par une consommation quotidienne frugale. Ils se tournent désormais presque exclusivement vers les produits alimentaires importés : leur apport calorique représente la majeure partie de l’apport calorique total. L’autoconsommation ne s’observe désormais qu’en résidu de l’alimenta- tion, faisant de plus en plus de l’individu un « consommateur pur ». À l’aube du troisième millénaire, les habitudes de vie, en Polynésie et à Tahiti surtout, ont connu un changement profond. Le poids de la distribution alimen- taire s’est renforcé avec l’installation de grandes surfaces commerciales, de type supermarché et hypermarché, créées au début des années 1980. Riz, punu pua’a toro et sardines ou maquereaux en conserve, poulet et veau surgelé, conserves de plats préparés, plats à emporter, café-pain-beurre, grignotage au long de la journée, composent aujourd’hui le quotidien alimentaire des Tahitiens. Est-ce à dire que le passage du mangeur « ancien », puis « traditionnel », a abouti aujourd’hui de façon définitive au « consommateur moderne » occidentalisé ? L’espace alimentaire des Tahitiens s’est considérablement élargi depuis une quarantaine d’années avec la structuration et la modernisation de l’appareil de distribution. Les facilités offertes par ces nouveaux produits ont eu pour consé- quence le délaissement progressif et la régression dans l’alimentation quoti- dienne de végétaux qui demandent une grande dépense de travail, soit pour leur culture (igname, taro ), soit pour leur préparation ( ’uru ). 210

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