Les Chinois de Polynésie française Entre permanence et transformation identitaire
moderne, ont libéré les Tahitiens des anciennes contraintes. Aujourd’hui, les seules limites sont d’ordre monétaire, mais la politique de subvention des produits alimentaires de première nécessité mis en œuvre dans les années 1980 permet un approvisionnement en volume d’aliments industriels de masse. Pour beaucoup des personnes rencontrées, et notamment dans les catégories sociales les plus démunies, bien manger, c’est manger tant qu’il y a à manger. Cette philosophie de la satisfaction du plaisir immédiat rappelle les remarques de P. Bourdieu sur l’hédonisme des classes populaires « qui porte à prendre au jour le jour les rares satisfactions (‘les bons moments’) du présent immédiat (…) seule philosophie concevable pour ceux qui, comme on dit, n’ont pas d’avenir et qui ont en tout cas peu de choses à attendre de l’avenir ». En effet, nous avons montré que les ménages qui déclaraient que « bien manger » était « manger beaucoup » se déclaraient Mä’ohi . Le volume des aliments consommés constitue donc toujours un facteur très important, rejoignant par là les représentations polynésiennes traditionnelles. L’alimentation des Polynésiens, et des Tahitiens en particulier, est fortement calorique, et importante en volume lors du principal repas pris dans la journée en semaine, lors des copieux ma’a tahiti du dimanche, ou à l’occasion des repas pris à l’extérieur. L’accent est mis sur le volume et les nourritures lourdes au détriment de la forme, il faut se nourrir d’aliments « qui tiennent au corps et qui lui donnent de la force ». On ne doit pas compter pendant le repas, et surtout pendant les repas de fête dont on n’évalue pas les quantités servies en fonction des convives, mais en fonction des restes nécessaires. On doit prévoir « plus ». Le trop n’est pas excès chez les Tahitiens, il est précaution. Il est aussi liberté, absence de contrôles, de contraintes et de restrictions en matière de nourriture, dans une vie jugée de plus en plus contraignante et facteur d’exclusion notamment économique. À Tahiti, en matière alimentaire, bien manger signifie manger beaucoup et réciproquement : c’est le volume ingéré, ressentir la sensation de réplétion, l’impression physique de plaisir que procure la satiété d’un estomac bien rempli, qui guident le mode d’alimentation. La valorisation de la charge intestinale, la sensation de satiété rapidement obtenue et le sentiment de plénitude engendré au cours de la digestion, se retrouve aujourd’hui dans l’expression tahitienne pa’ia : le fait de s’éprouver comme totalement rempli de nourriture. Nous avons montré que les très fortes corpulences étaient des signes de posi- tion sociale élevée chez les anciens Tahitiens. De nos jours, la culture polyné- sienne les valorise toujours. Être gros, avoir un ventre proéminent, faere ou 213
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